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Approvisionnement en hydrocarbures : « Le gazole, la question la plus délicate »

Transport - Route
20/02/2023
Embargo européen sur le pétrole et le gaz russe, risque de flambée des prix, approvisionnements alternatifs ; Francis Perrin, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), décrypte l’impact de la guerre en Ukraine sur les  approvisionnements pour le transport et la supply-chain. Les biocarburants de synthèse seront complémentaires à la dominante du gazole professionnel.
Bulletin des transports : L’embargo européen sur le pétrole et le gaz russe est-il déjà mesurable sur les approvisionnements ?
Francis Perrin : Le 5 février 2023, deux sanctions contre la Russie sont entrées en vigueur et elles portent sur les produits raffinés. L'Union européenne a cessé d'acheter des produits raffinés à la Russie et le G7, l'UE et l'Australie ont également imposé des prix maxima pour les exportations russes de produits raffinés vers des pays non-occidentaux. Ces deux plafonds sont de 100 USD par baril pour les produits raffinés les plus « nobles » et de 45 USD par baril pour les produits moins recherchés. Les conséquences de l'embargo européen ne seront pas faciles à gérer mais cette mesure est prévue depuis plusieurs mois, ce qui a permis aux acteurs concernés d'anticiper et de se préparer à l'après-jour J dans ce domaine.

BTL : La France a-t-elle la capacité de compenser à terme la part manquante de produits raffinés russes ?
F. P. : Je n'ai pas d'inquiétudes majeures au sujet de nos approvisionnements en 2023, car l'État et les opérateurs pétroliers se préparent à cette situation depuis plusieurs mois. L'industrie pétrolière a d'ailleurs fait la preuve à plusieurs reprises dans le passé de sa grande flexibilité. La question la plus délicate, c'est effectivement le gazole (1) : on assiste à une réorientation des flux mondiaux, avec la fin des importations européennes venant de Russie et plus de gazole provenant ou devant provenir du Moyen-Orient, de l'Asie et de l'Amérique du Nord.

BTL : Engagés dans la décarbonation des véhicules, les transporteurs ne risquent-ils pas de subir de surcroît une envolée des prix du gazole ?
F. P. : On constate déjà une tension sur les prix du gazole et cette tendance a commencé avant le 5 février 2023. Cela dit, la semaine du 6 février en France, le prix moyen du gazole dans les stations-service était de 1,83 euro par litre, en baisse par rapport à la semaine précédente, et ce prix était inférieur de quelques centimes à celui des essences SP95 et SP95-E10. Mais je comprends bien les préoccupations des professionnels sur les prix au cours de cette année. Je disais que je n'étais pas trop inquiet sur les volumes en France et en Europe cette année, même si ce ne sera pas facile, il est logique d'anticiper dans ce contexte très particulier une hausse des prix.

BTL : Pourquoi les  volumes de Gaz naturel liquéfié (GNL) russe acheminés par voie maritime progressent-ils, malgré les sanctions économiques européennes ?
F. P. : La Russie exporte du GNL vers l'Asie et vers l'Europe. Les pays asiatiques ne sanctionnent pas ou peu la Russie et l'UE n'a pas à ce jour imposé un embargo immédiat sur les importations de gaz russe. Il a été décidé que l'Union européenne devrait se passer complètement du gaz russe dans un délai de quelques années, et les exportations de gaz russe vers l'UE ont fortement baissé en 2022, mais cette chute porte sur les exportations de gaz par gazoduc et pas sur celles de GNL. Il n'est donc pas étonnant que Moscou puisse afficher de bons chiffres pour le GNL en 2022 (N.D.L.R. : une progression de 7,9 % soit 47,7 Mds de m3) mais il ne faut pas oublier que les exportations gazières de Gazprom, vers des pays hors ex-URSS, ont chuté de 46 % l'an dernier.

BTL : Lorsque l’OPEP (2) prévoit une progression de la demande mondiale de pétrole de 2,3 % en 2023, la répercussion sur les prix du pétrole sera-t-elle significative ?
F. P. : Il est clair que la demande pétrolière mondiale augmentera à nouveau cette année. La projection de l'OPEP est de +2,3 millions de barils par jour (Mb/j) et celle de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) de +2 Mb/j. Selon ces deux rapports, cette demande atteindrait en moyenne annuelle 101,9 Mb/j en 2023, soit un record historique dépassant le précédent record qui remontait à 2019. Cette hausse de la demande peut permettre de soutenir les prix du pétrole à un niveau assez élevé, notamment parce que la Chine, deuxième consommateur mondial de pétrole, a renoncé à sa politique du « zéro Covid ». Mais l'offre pétrolière mondiale devrait être capable de s'ajuster à cette demande en hausse.

BTL : Les biocarburants de synthèse, comme le XTL issu de déchets organiques, seront-ils incontournables pour la supply-chain ?
F. P. : Les biocarburants de synthèse font l'objet de beaucoup d'attention de la part des transporteurs et des pétroliers, et à juste titre. Mais c'est le début de l'aventure, et la route est encore longue. Les carburants pétroliers classiques vont rester très dominants dans les années qui viennent. Cela dit, il est important de développer des alliances pertinentes entre les grands acteurs concernés, avec le soutien des autorités françaises et européennes pour avancer sur la voie de la décarbonation en France et en Europe.

(1) La part du gazole russe dans les importations françaises est de l’ordre de 21 %.
(2) L’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) est composée à ce jour de treize membres : Algérie, Angola, Arabie saoudite, Congo, Émirats arabes unis, Gabon, Guinée Équatoriale, Iran, Irak, Koweït, Lybie, Nigéria, Venezuela.

Propos recueillis par Louis Guarino
 
Source : Actualités du droit